Discours d’introduction de Jean-Louis Missika, Maire Adjoint chargé de l’innovation, de la recherche et des universités à la Mairie de Paris – le 21 mars 2013 lors du 5Plus City Forum
Il est pour moi toujours délicat de parler de la ville intelligente comme d’un concept nouveau. L’intelligence c’est l’échange entre personnes, l’amas de connaissances, la mise en commun d’expériences et, à ce titre, les villes qui sont des regroupements d’individus ont toujours été des creusets d’intelligence.
On ne peut pas opposer une supposée « ville intelligente » du 21ème siècle aux villes sans intelligence des siècles précédents, car ce serait oublier un peu vite Athènes, Alexandrie, Rome, Byzance, le Paris des lumières et tant d’autres.
Ce que l’on nomme aujourd’hui smart city ou ville intelligente, c’est une intelligence technologique appliquée aux problématiques urbaines. Et nous ne manquons évidemment pas de problèmes à gérer.
En plus des préoccupations habituelles de toute ville, que sont le logement, la gestion d’équipements, la circulation, la propreté etc., le monde fait face aujourd’hui à une double crise. Une crise économique, qui frappe avec une dureté rarement égalée, et une crise environnementale, qui met en péril des ressources que nous pensions inépuisables.
Cette double crise nous oblige à faire mieux avec moins. Moins de budget, moins d’énergie, moins de déchets, moins d’énergies fossiles. C’est effectivement un formidable défi à relever, un défi à l’intelligence des villes.
Alors il y a bien entendu des solutions qui relèvent de l’intelligence technologique. On peut piloter à distance les feux de circulation. On peut mesurer en temps réel le trafic routier. On peut géolocaliser les transports en commun. On peut automatiser le traitement des déchets. En bref, on peut injecter une dose d’intelligence dans toutes les fonctions unitaires d’une ville.
Mais une ville est beaucoup plus que la somme de ces fonctions unitaires. C’est un système complexe, et sa complexité est telle qu’il est pratiquement impossible de l’appréhender avec le seul recours de la technologie. C’est un organisme, composé de tissus urbains, reliés par des artères. Il possède des cellules, son système d’alimentation, son système nerveux, parfois des verrues aussi.
De la même façon qu’il est impossible, dans l’état actuel de la science, de modéliser correctement un organisme vivant, il serait illusoire de croire qu’un système technologique pourrait gérer la complexité d’une ville.
Nous vivons en revanche un moment très particulier dans l’histoire de l’humanité, puisque pour la première fois l’intelligence collective et la création coopérative peuvent être organisées et amplifiées à l’aide de la technologie. En moins de 20 ans, une part significative de la connaissance, de la production intellectuelle et artistique humaines a été mise à disposition de tous sur internet, de façon ubiquitaire et universelle, démontrant qu’il n’y a pratiquement pas de limite à l’intelligence collective.
C’est cette intelligence humaine collective, couplée à l’intelligence technologique, qui permettra d’inventer la ville de demain.
Si dans 5 ans nous arrivons à croiser l’intelligence collective et le progrès technologique, la ville connaîtra une nouvelle Renaissance, et deviendra la ville durable, servicielle, économe et efficace que nous appelons de nos vœux.
Pour cela, il est essentiel que la couche technologique soit évolutive, ouverte, accessible et facile à hacker, en un mot une véritable plate-forme. Ce qui fait l’incroyable succès des smartphones aujourd’hui, c’est le fait que ce sont des plate-formes sur lesquelles n’importe qui peut venir créer une application.
C’est en transformant la ville en plate-forme que nous permettront l’éclosion de nouveaux services urbains, et d’une nouvelle façon de vivre et de gérer la ville.
Cette transformation ne peut être que progressive, mais nous l’avons entamée, et l’achèvement de cette mutation sera l’un des enjeux majeurs des 5 ans à venir.
Avant tout, Paris a fait le choix de s’ouvrir à l’intelligence collective, en mettant en place une politique d’innovation ouverte. Nous avons ouvert notre territoire à l’expérimentation de façon systématique, et créé une agence dédiée, le Laboratoire Paris Région Innovation. Il sert de guichet unique pour tous ceux qui veulent proposer une expérimentation à Paris, et l’aide dans les démarches, l’obtention des autorisations, la définition du protocole expérimental et parfois le financement du prototype.
Celui qui expérimente, qu’il s’agisse d’un laboratoire, d’une entreprise petite ou grande ou d’un designer, a ainsi la possibilité de valider en conditions réelles son innovation, et de bénéficier de l’effet vitrine de Paris pour son produit. De son côté, la Ville y gagne une ouverture sur les nouveautés, et une connaissance de produits qu’elle n’aurait jamais pensé acheter.
En quatre ans, ce sont plus d’une centaines d’expérimentations qui ont été lancées dans tous les domaines et sur tout le territoire : couche écologique dans les crèches, écran d’orientation dans les hôpitaux, système de recharge de véhicule électrique complètement automatisé, etc.
Beaucoup de ces expérimentations laissent entrevoir des pistes vers la ville durable. Nous avons par exemple mis en place le chauffage d’une école en récupérant la chaleur des eaux usées dans les égouts au moyen d’une pompe à chaleur.
Nous récupérons également la chaleur des data centers pour chauffer une crèche, un immeuble d’habitation et une piscine.
Inversement, une startup nous a proposé de déporter le data center chez l’habitant : les radiateurs sont remplacés par des ordinateurs raccordés à internet, qui dégagent de la chaleur en effectuant leurs calculs, et ces radiateurs / ordinateurs constituent un data center décentralisé dont la puissance est vendue à des entreprises.
Nous avons eu l’occasion de tester au fil des années plusieurs types d’éoliennes urbaines, sur les toits ou dans les parcs de la ville, sans grand succès pour l’instant, mais l’échec est un enseignement.
En plus d’expérimenter au fil de l’eau ce qui nous est proposé, nous lançons également des consultations dans des domaines dans lesquels nous souhaitons obtenir un état de l’art, ou développer une vision prospective.
Nous l’avons fait pour le mobilier urbain intelligent, avec un appel à projets qui nous a amené 40 prototypes à expérimenter, dont l’abribus du futur ou des panneaux d’information à réalité augmentée.
Nous avons également lancé des appels à projets pour expérimenter des technologies de maintien à domicile des personnes âgées, faciliter les déplacements des malvoyants, améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments anciens.
Les deux derniers appels à contribution concernent l’identification et l’exploitation des ressources cachées d’une ville (îlots de chaleur, fraîcheur des galeries souterraines, eau de pluie, biomasse, etc.) ou encore la végétalisation des toits et l’agriculture urbaine.
Cette démarche nous permet de drainer l’intelligence collective, dans des domaines importants où l’expertise des agents municipaux, même si elle est appréciable, ne suffit pas.
Au delà des expérimentations, nous avons évidemment modernisé nos propres réseaux, et déployé des infrastructures. On peut citer par exemple :
- le pilotage centralisé de 200 000 points d’éclairage public, avec un objectif de réduction de 30 % de la consommation électrique
- les compteurs d’eau connectés, qui permettent de connaître heure par heure la consommation de chaque immeuble parisien
- un réseau wifi gatuit pour tous (400 points sur le territoire parisien, et nous réfléchissons à élargir ce réseau pour couvrir presque toute la ville)
- le système de gestion des feux de circulation, que nous allons ouvrir à des chercheurs pour optimiser le trafic
- et bien d’autres choses encore.
Mais tous ces systèmes ne formeront réellement la ville plate-forme que s’ils sont interopérables et ouverts sur l’extérieur. C’est pourquoi nous avons lancé une ambitieuse politique d’Open Data. Nous avons commencé par les référentiels les plus importants, à savoir le système d’information géographique, afin que chacun puisse modéliser le territoire comme il le souhaite. Aujourd’hui, nous nous attaquons aux données temps réel, comme par exemple celles des différents réseaux de capteurs dont nous disposons : circulation, pollution, etc.
A terme, nous souhaitons doter notre plate-forme d’un ensemble d’A.P.I. qui permettront de créer et proposer de nouveaux services urbains.
S’il est un domaine dans lequel l’open data est un enjeu majeur, c’est les transports, dont vous allez beaucoup parler ce matin.
On le sait, les projets d’amélioration des transports sont des projets de grande ampleur, souvent très coûteux.
Nous avons recréé le tramway aux portes de Paris (22 kilomètres de trajet).
Nous avons mis en place velib (18 000 velos, 22 000 emplacements, 110 000 trajets par jour en moyenne, soit environ la distance de la terre à la lune parcourue tous les jours).
Nous avons également lancé Autolib, une première mondiale à laquelle la plupart des constructeurs automobiles ne croyait pas (1800 véhicules, 70 000 abonnés, 7,6 millions de kilomètres parcourus en tout électrique).
Au delà de ces investissements très lourds, les systèmes de transport, s’ils sont ouverts, se prêtent particulièrement bien à l’invention de nouveaux services par les usagers. Calcul d’itinéraires réellement intermodaux, crowdsourcing pour connaître les heures de faible affluence, entraide et covoiturage, réaction ultrarapide en cas d’incident.
C’est le parfait exemple de choses qu’un système « intelligent » tout intégré ne serait pas capable de faire car il manquerait de souplesse. Une ville intelligente se construit avec l’intelligence de ses habitants. Nous y travaillons, et nous y vivrons dans 5 ans.