Face aux climato-écolo négationnistes de tout bord, il est indispensable de comprendre la crise en Amazonie par la portée des travaux scientifiques.

En effet, l’expression depuis quelques heures des climato-écolo négationnistes et affidés, je pense aux propos indécents de Luc Ferry (l’homme qui possède une mer de connaissances mais hélas d’un cm de profondeur) relayés par celui qui se définit maintenant comme Anti – Greta, 🙄, Laurent Alexandre, sur le “fascisme vert” ou “éco-fascisme” prêts à taper sur celles / ceux qui se battent pour un environnement apaisé est l’occasion de rappeler les travaux scientifiques à ce sujet.

Il s’agit de contribuer à faire comprendre la gravité du problème et l’enjeu vital que cette catastrophe écologique pose à l’humanité dans son ensemble, bien au-delà d’une quelconque frontière physique entre pays ou idéologique entre les hommes :

Quelques données sur le feu et ses effets :

La distance entre l’Amazonie et Sao Paulo est d’environ 2000 Kms. Le 19 août, la fumée des incendies ont plongé la ville dans le noir à 15h ! C’est comme s’il y avait un incendie à Athènes qui noircirai Paris et ses alentours en plein jour ! Rien que la fumée, elle a représenté à ce moment la couverture d’une surface équivalent à deux fois la France. Bien sûr, son expansion continue, touchant maintenant quatre pays : la Colombie, l’Équateur, le Pérou, plus la Bolivie qui a aussi le feu dans une partie de sa région de l’Amazonie.

Sao Paulo est la ville-monde la plus peuplée de l’Amérique du Sud. C’est un tiers de la France en population avec ses 20 million d’Habitants, soit un brésilien qu’y habite sur dix. Une grande mégalopole, une ville – monde. Peut-on imaginer ce qui se passe quand l’Amazonie brûle et à 2000 km Sao Paulo est dans le noir à 15h ? C’est la « viralisation » de ces images dystopiques qui ont commencé à percer dans les médias contribuant alors à enclencher une première prise de conscience de la gravité de la situation. Il était temps car depuis 16 jours l’Amazonie brulait dans un troublant silence médiatique mais plus grave encore politique.

Car effectivement, bien que l’Amazonie soit l’endroit le plus humide au monde, il brûle bien plus que lors de la saison sèche, qui a commencée, par des actions d’origine humaine. Entre le 1er janvier et le 18 août, 71 497 incendies se sont déclarés en Amazonie, soit une augmentation de 82% du nombre d’incendies par rapport à la même période l’an dernier

Le caractère anthropique des incendies en cours

Je vous invite à lire l’interview d’un brillant chercheur brésilien, Paulo Mountinho, co fondateur du Amazon Environmental Research Institute (IPAM), Distinguished Policy Fellow at The Woods Hole Research Center, aux USA, travaillant depuis 20 ans en Amazonie, qui précise assez nettement le caractère anthropique de la crise de l’Amazonie, traduite par les feux de forêts, qui en cette saison 2019, avec moins de sécheresse, sont amplifiés par la déforestation massive.
Son interview par AFP et reproduite ici par Outremer360° (en les remerciant de m’avoir cité 😉)

Il faut aller ensuite dans la richesse de travaux depuis 1995 de l’Amazon Environmental Research Institute (Pt | En) IPAM. Oui, les problèmes graves de déforestation de l’Amazonie n’ont pas commencé avec  l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. Par contre, il les a bien aggravés et ce qui viendra est à craindre pour toute l’humanité.

Pourquoi la politique de Bolsonaro est une menace grave ?

S’attaquant d’entrée aux indiens de l’Amazonie, le président du Brésil, Jair Bolsonaro détruit volontairement l’équilibre écosystémique global. En raison de leur culture, ils préservent 100 000 000 hectares de forêt, ce qui correspond à 14 gigatonnes CO2. Seulement 1,6% de leurs terres sont déboisées.

La haine viscérale des cultures indiennes, noires, métisses, qui porte Bolsonaro comme expression d’un pouvoir blanc, évangélique, messianique et mâle, va de pair avec la défense des intérêts de l’agriculture intensive, l’occupation, et vol des terres, urbanisation sauvage et le tout avec la pratique de la violence tous azimuts. Ne l’oublions pas la déforestation est axée pour le soja et l’élevage de bovins, pour le business agroalimentaire et l’export.

Voici un extrait de propos de Bolsonaro concernant les indiens :
« Quel dommage que la cavalerie brésilienne ne se soit pas montrée aussi efficace que les Américains. Eux, ils ont exterminé leurs Indiens. » Correio Braziliense, 12 avril 1998

« Les Indiens ne parlent pas notre langue, ils n’ont pas d’argent, ils n’ont pas de culture. Ce sont des peuples autochtones. Comment ont-ils réussi à obtenir 13% du territoire national »
Campo Grande News, 22 avril 2015

« Cette politique unilatérale de démarcation des terres autochtones par le pouvoir exécutif cessera d’exister. Sur toute réserve que je peux réduire, je le ferai. C’est une grosse bataille que nous allons mener contre l’ONU »
Vidéo de Correio do Estado, 10 juin 2016

Et comme il y a dans tous les sens, l’organisation “Survival International” a fait une glaçante compilation, classée par thèmes, citant à chaque fois la source. Une fois que on a pris connaissance, on comprend mieux alors la terrible spirale dans laquelle nous sommes en Amazonie.

Le problème de fond et l’avenir

Les terres autochtones de l’Amazonie brésilienne couvrent 27% de la superficie forestière et abritent 173 groupes ethniques. Ils sont essentiels donc pour la conservation de la biodiversité régionale et mondiale !

A lire le rapport ici, en EN “Indigenous Lands in the Brazilian Amazon: carbon stocks and barriers to deforestation“.

Le conflit passe par l’inconscience suicidaire du besoin de préserver les peuples autochtones comme gardiens du CO2 et de la biodiversité

L’Amazonie est largement supérieure en taille à l’UE-27.  Une conséquence inquiétante pour le climat mondial d’une diminution du couvert forestier serait la réduction du stockage de CO2 dans les sols et dans la végétation qui pourraient relâcher jusqu’à 60 GtCO2 vers l’atmosphère. Lire à cet effet, l’article scientifique « L’Amazonie – victime des changements climatiques ? »

La coopération scientifique très riche avec le Brésil a un bel outil “Confins” Revue Franco-Brésilienne de Géographie. Dans le N°37 fin 2018, j’avais eu l’occasion d’étudier un texte concernant l’impact en Amazonie du développement des petites villes et moyennes. Il constate l’aggravation d’une situation que j’avais déjà observé lors de l’un de mes séjours dans la zone de l’Amazonie frontalière entre le Brésil, la Colombie et le Pérou, des années auparavant. Il s’agit de la question de l’interaction intense avec la forêt et les villes, l’un des aspects essentiels pour comprendre les transformations de l’Amazonie, des moyens de subsistance du “ribeirinho” (celui qui s’urbanise en Amazonie) avec l’approvisionnement en aliments et modification des régimes alimentaires. Les changements ont été très rapides soulevant d’importantes questions sur l’évolution des relations socio-environnementales dans les communautés néo urbaines.

L’introduction également de la « cash economy » a joué aussi un rôle. Elle vient transformer les relations sociales en profondeur et est venue signifier également l’encouragement à l’introduction des lois du marché avec la montée en puissance de process industriel agro-alimentaires concomitant avec la recherche du gain et des profits. Enfin car « cash economy » se traduit aussi par la recherche des nouvelles zones pour transformer la nature en marchandise.  Ce sont donc un ensemble des menaces pour les communautés traditionnelles qui ont vu le jour et s’accélèrent partout en Amazonie avec la politique hostile à leur égard de Bolsonaro et son gouvernement. Des menaces sur eux-mêmes  et leur intégrité physique et  de leur statut socio-territorial, qui est la clé de la sauvegarde de l’équilibre bio systémique, le tout aggravée par les grands chantiers hydro-électriques et l’expansion de l’agro-industrie !

Un travail instructif est de comparer chacune des 3 cartes de Grands Chantiers / Agro-Industrie / Déforestation avec la 4ème signalant les Incendies en cours. C’est assez éclairant et on voit juste en un coup d’œil que ce n’est pas ni des ONG, ni des enfants d’indiens qui jouent avec des allumettes, comme on a pu l’entendre ! Pour approfondir, la lecture de ce texte de chercheurs brésiliens (en Pt) est édifiante.

L’impact de la fumée

Un dernier point, qui aura ses conséquences dans le temps aussi : l’impact qui aura la fumée et sa dynamique de déplacement. Elle touche déjà 4 pays.

La revue Sciences a publié une étude scientifique, qui suit son cours sur les feux de forêt au Canada et aux USA en 2017. Restés 8 mois dans la stratosphère devenus PiroCumuloNimbus, ils sont sujet d’étude de la plus haute importance.

En Sibérie l’autre poumon de la planète, malade aussi, le nuage de fumée produit par les incendies en cours est de 5 Millions km2, soit, la moitié de la surface de l’UE-27, et qui a déjà libéré 130 MTonnes de C02. Il a voyagé en Alaska et Canada.

Les particules de toutes ces fumées restant longtemps en suspension auront des conséquences dont les chercheurs ont les premières pistes en particulier sur des phénomènes météorologiques de nouveau type qui ont été observés. Voir ici l’article publiée par l’Académie des Sciences des USA, (PNAS).

Complexité et inter dépendances

Ces problèmes, sont assez représentatifs de la problématique de la complexité, par la totale interdépendance des phénomènes, systèmes et modes de vie.

Rappelons les sublimes paroles de notre grand maître et penseur universel Edgar Morin, qui dans son magnifique texte “Terre-Patrie” en 1993 nous a dit : “Nous voici, minuscules et humains, sur la minuscule pellicule entourant la minuscule planète perdue dans le gigantissime univers. Cette planète est en même temps un monde foisonnant, le nôtre. Au moment où les sociétés éparses sur le globe sont devenues interdépendantes, la prise de conscience de la communauté de destin terrestre doit s’imposer. Nous sommes solidaires dans et de cette planète. C’est notre Terre-Patrie.
Dans ”Éloge de la Métamorphose” en 2010, Edgar Morin nous interpelle encore : “Le probable est la désintégration. L’improbable mais possible est la métamorphose. Pour éviter la désintégration du système Terre, il faut d’urgence changer nos modes de pensée et de vie.

Voilà, dix ans après nous y sommes et plein dedans !

Changer de mode de vie, se battre pour les « communs »

Nous voilà donc sur les problèmes de fond, changer radicalement de mode de vie, de consommation, de production, du regard par rapport aux autres et il ne suffira pas de prier pour aboutir  ! Cela met en exergue la justesse du combat planétaire pour les « communs ». Oui, une initiative globale et mondiale est indispensable pour sauver ce commun planétaire, l’Amazonie et au-delà ces « communs » qui sont indispensables à l’équilibre écologique de la biodiversité planétaire.

 

Protéger les défenseurs de l’environnement

C’est une urgence internationale. Les attaques contre les défenseurs de la Terre, s’incrémentant partout dans le monde, il devient indispensable d’agir pour les protéger. C’est encore une information glaçante via le bureau de l’ONU qui s’occupe de l’environnement, et d’après l’étude de Globalwitness, la moitié des assassinats des défenseurs de l’environnement en 2018, ont eu lieu en Amérique Latine.  L’ONU vient de mettre en place un dispositif, justement pour aider à leur protection, face à la violence aveugle qui s’abat contre eux.  Je vous invite à lire le terrible rapport, « Defenders of the Earth » qui détaille toute cette violence meurtrière contre les défenseurs de l’environnement dans le monde.

Cela rend encore plus lamentable et pathétique les propos de Luc Ferry et Laurent Alexandre, alors que l’Amazonie brûle, sur “le fascisme vert” ou “l’éco fascisme” quand on voit cette longue liste de morts, juste pour défendre l’équilibre de la planète et le droit d’ vivre dignement et en harmonie avec la nature. Honte à eux !

Paris, le 23 août 2019

Pr Carlos Moreno